Voilà quelques semaines, j’ai eu la grande chance de pouvoir discuter, échanger, débattre avec Charles Dowding. Le cœur de notre discussion s’est centré sur son approche du potager, le « no dig ». Comment traduire cette expression en français ? Le non-bêchage et plus globalement, le non-travail du sol en misant sur un autre travail, celui incessant de l’activité biologique.
C’est avec plaisir que je vous raconte ici les principaux échanges, comment nous abordons parfois différemment certaines pratiques et comment aussi nous partageons des vérités communes qu’il est bon de rappeler.
Sommaire
Le no-dig : jardiner avec du compost et non-travail du sol
Olivier : « Charles, peux-tu nous rappeler le principe de ton approche « no dig » au potager ».
Charles : « Oui, c’est très simple ! Je ne touche jamais au sol. Je mets simplement des apports de compost, en grosse quantité, chaque année. Du compost plus ou moins grossier, nous y reviendrons. Ce compost alimente une activité biologique qui va à la fois structurer le sol, l’enrichir en humus dont une partie va se minéraliser chaque saison pour nourrir les cultures ».
Olivier : « Mais Charles, penses-tu que cette approche est envisageable, même sur des sols compacts, argileux, caillouteux… où il est difficile d’enfoncer une bêche ?! Égoïstement je pense à mon sol ici, dans le sud de la France, très argilo-calcaire, si compact qu’on pourrait en faire des briques ! »
Charles : « Oui, tout est possible ! J’ai moi-même eu affaire à ces sols et au bout de quelques années, ce sol s’améliore nettement. Certes les premières saisons, les carottes sont fourchues, les légumes racines ont du mal. On peut aussi, on moment zéro, initial, passer un coup de grelinette ou de motoculteur. Cela pour au moins enlever les gros cailloux, décompacter une première fois. Mais ce sera la seule fois ! Par la suite, en route pour une approche « no dig ».
Charles a été très positif sur ce point. Je pense qu’il fait bien de dire, de nuancer que parfois, il faut une décompaction de départ, un décailloutage, tellement des sols sont très dégradés. Notamment beaucoup d’entre nous qui héritent d’une terre de remblais suite à de lourds travaux de terrassement au moment de la construction de maison, de lotissement. Ici au potager d’Olivier, sur une récente extension, j’ai même voulu essayer avec un apport de terre végétale pour gagner des années avant d’espérer jardinier en toute quiétude. Tellement il m’a fallu du temps, de l’énergie, de la matière organique, de la jeunesse ! pour améliorer mon sol sur mes premières parcelles. Tout est possible via l’activité biologique, mais clairement nous ne partons pas tous du même sol. Si au contraire vous avez en point de départ un sol de prairie, grumeleux, le « no dig » semble prédestiné. Il faudra simplement se contenter de nourrir le sol saison après saison.
Le compost et les besoins des légumes
Olivier : « tu as une approche par le compost, peux-tu nous en dire un peu plus sur cet apport ? »
Charles : « Oui, le compost est de l’or noir pour le potager. C’est formidable. Il nourrit le sol et par la suite, les cultures. C’est tout un art de bien le faire, mais les règles de base sont peu nombreuses. Il faut entre 1/3 et une moitié de matières organiques sèches. Comme le carton, le broyat, la paille, le foin, tout ce qui est marron, un minimum structuré. Et les 2/3 restants sont des matières vertes, humides, plutôt molles avec peu de structures. On pense aux restes de cultures, aux restes de repas, au marc de café, coquille d’œuf, tonte fraîche… Le compost valorise ainsi toutes ces matières organiques pour en faire une alchimie formidable. Dans le tas, les ingrédients secs sont bonifiés par les ingrédients humides et vice-versa. Exactement comme une belle recette de cuisine ! Je mets presque 8 kilos de compost au m² par an. C’est conséquent. Pour cela je fais venir parfois du broyat, des restes de matières organiques, de restaurants, du marc de café… Et je me régale de confectionner cet or noir. Nous le répandons essentiellement à l’automne entre deux cultures ».
Olivier : « Mais souvent, on entend que les cultures ont des besoins différents. Parfois un peu plus d’azote, parfois un peu plus de potassium qui serait utile aux légumes fruits. Que penses-tu de cette approche au cas par cas alors que toi, apparemment, tu t’en importes peu ?! »
Charles : « Effectivement, je pense que cette approche, minéraux par minéraux, convient surtout à toute cette industrie agrochimique. Ici, ce que je peux dire, c’est qu’avec du compost, une fois par, cela marche très bien ! ». Mieux que cela, je ne me soucie pas d’associations ou de rotations des cultures. Les légumes trouvent tout ce qu’il faut dans le sol. Il est comme un gros réservoir de richesse dans lequel chaque culture vient y piocher ses besoins. J’apporte néanmoins un petit complément d’algues tous les ans pour enrichir un peu plus le sol en azote. Parfois il pourrait venir à manquer. Mais c’est tout. Avec ces simples apports, les cultures se portent à merveille ».
Pour compléter les propos de Charles, il est vrai qu’une approche par le compost permet de répondre aux besoins des cultures. Il faudra simplement en avoir en quantité, bien 3 kilos par m² en matière sèche et plus du double en poids humide. Ce compost libère au fil des semaines, des mois, des années, des minéraux essentiels. Avec la lumière, l’eau, la douceur de température, les cultures auront ainsi accès aux clés principales de fertilité. De nombreuses études mettent même en avant des cultures plus résistantes avec ces apports de composts qui offrent une plus grande diversité. Plutôt qu’apporter simplement des engrais ciblés pour répondre à telle ou telle demande en minéraux.
Compost de surface ou compost en tas ?
Olivier : « On parle souvent en France du compostage de surface, qu’il est même inutile de composter. Plus encore, Konrad Schreiber par exemple dit que composter c’est polluer. Que penses-tu de ces propos ? »
Charles : « Je pense qu’il est facile de discréditer telle ou telle pratique, notamment pour en vendre une autre. Le compost est extrêmement avantageux par rapport à du compost de surface. Il évite les limaces. Il permet d’avoir rapidement des parcelles exploitables, semer facilement sans avoir à faire à une surface paillée d’un compost grossier. Sans compter qu’il se passe dans un tas de compost, ce qui ne se passe pas quand vous « balancez » vos matières organiques en surface pour faire du compost de surface. Là aussi comme une recette de cuisine, vous n’aurez pas les mêmes résultats à balancer les ingrédients par-ci par-là plutôt que les mélanger de façon équilibrée dans un saladier (un composteur). Le résultat sera totalement différent avec chaque ingrédient qui se sera lié à l’autre. Il en est de même dans un tas de compost.
Pas de paillage, que du compost ?
Olivier : « Cela me fait rebondir sur l’approche par le paillage, et même sur la permaculture. Là aussi, quel avis as-tu sur ces pratiques assez développées en France. Moi le premier je prends soin de pailler la majeure partie de mon potager, surtout durant les saisons les plus chaudes et sèches.
Charles : « Parfois des gens qui viennent visiter mon potager sont presque choqués de ne pas voir de paillage. Et pourtant mon sol est paillé. Le compost déposé en surface, sur une épaisseur de 2 à 3 cm, a bien des effets positifs qu’ont d’autres paillages sans en avoir les inconvénients. Il protège le sol en dessous. Il nourrit le sol en dessous. Il permet aussi de facilement laisser la pluie sans que celle-ci arrive trop fortement et directement sur le sol. On évite l’effet de battance qu’on retrouve sur des sols à nu avec la pluie qui tasse la surface. Les limaces également sont bien moins nombreuses. Encore une fois, je trouve ma pratique du compost tellement plus simple et efficace que je n’ai aucune raison de faire différemment. Un été, j’ai tout de même paillé. Cela parce que le climat était exceptionnellement sec, chaud. Il fallait une protection supplémentaire pour garder une bonne humidité de sol. Mais avec une météo sans excès de chaleur et sans trop de sécheresse, tout va bien ainsi. »
Le no-dig : adieu les adventices ?
Olivier : « Un sujet qui revient très souvent aussi, quelles que soient nos pratiques, est la gestion des herbes indésirables. Ton potager est si beau, sans herbes non désirées. Cela alors que tu as tout de même une grande surface, près de 1500 m². Comment gères-tu la gestion de ces herbes ? »
Charles : « Le fait de ne pas travailler le sol permet d’éviter de remonter des graines indésirables à la surface, à la lumière. Il y a ainsi très peu de travail de désherbage à faire. Aussi, le compost monte en température dans les bacs. Les graines y perdent leur pouvoir germinatif. Au final, avec un minimum d’attention au quotidien, il est facile de bien entretenir le potager. J’ai aussi un peu d’aide, quelques mains qui sont présentes pour facilement gérer la pression de ce que l’on appelle les adventices ».
Pour finir sur cette approche par le compost et le non-travail du sol
Olivier : « Alors pour résumé, il faudrait que je me décide à laisser définitivement la grelinette dans mon abri de jardin ? «
Charles : « Oui ! Il faut faire confiance en l’activité biologique, la nourrir constamment chaque saison et miser sur les vers de terre, les macros et microorganismes. Ce sont eux, qui, mieux que nous, vont arriver à structurer un sol et cela de façon durable. Un outil mécanique aura toujours une efficacité à court terme, mais tous les jardiniers le constatent, rapidement il se recompacte.
Je rejoins beaucoup la vision de Charles sur ce sujet. Je fais souvent la comparaison suivante en tant qu’ancien boulanger. Peut-être elle vous parlera. Un pain fabriqué à la vite avec des levures artificielles, va avoir beaucoup d’oxygénation les premières heures. Mais il va durcir rapidement sans parler du goût souvent assez fade. Alors qu’un pain au levain, lui va gonfler doucement, mais sûrement à l’aide d’un levain naturel. Il aura une aération moins conséquente au départ, mais il se conservera très longtemps sans durcir, sans sécher, sans se compacter. La vision du sol, à mon sens, pourrait avoir cette même approche. Il sera plus durable, mieux structuré, un fabuleux réservoir de richesse et de goût pour nos cultures, en lui apportant des apports de matières organiques, naturelles, plutôt que des engrais chimiques concentrés à action rapide, mais peu qualitative au final pour le sol, et nos cultures. Ayons pour ce sol une attention à lui apporter une diversité de matières organiques, sans trop vouloir le chambouler à coup de motoculteur, bêche et même grelinette. C’est à chaque jardinier au final, à trouver le bon équilibre selon son contexte.
Olivier : « Merci Charles, pour ton attention, ces échanges passionnants. Je rappelle aux auditeurs, aux lecteurs, qu’un livre va sortir bientôt en France, sur le « no dig ». Il sera intitulé « J’arrête de bêcher ». Je peux te garantir que je serai le premier lecteur pour continuer à m’inspirer de belles pratiques comme celle que tu nous témoignes. Merci et à bientôt. »
Charles : « Merci Olivier, je viendrai te voir dans ton potager et nous pourrons continuer à parler de notre passion. À bientôt ».
Merci pour votre attention. Je rappelle que Charles a une chaine Youtube « Charles Dowding », suivie par plus de 600.000 abonnés. Vous pouvez y jeter un œil en activant les sous-titres en français. Vous y découvrirez plus encore l’univers enchanté de ce jardiner de talent avec une pédagogie qui fait que son univers semble si accessible. Merci encore Charles.
Aller plus loin avec notre article ‘Le compost au potager‘, et cette vidéo ci-dessous.
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